RESSOURCES FORESTIERES ET AGRICULTURE : ENJEUX FONCIERS ET COMMUNAUTAIRES

Avec Felix-Crédo LILAKAKO

Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete,
Conseiller Juridique et en Charge des partenaires dans différents Cabinets Ministériels,
Initiateur et Coordonnateur de l’asbl UN
CONGO NOUVEAU POUR TOUS, …


Sommaire

  • Introduction
  • Ressources forestières, agriculture et foncier: quel lien avec les communautés locales?
  • Cadre juridique et institutionnel sur les ressources forestières et l’agriculture
  • Communauté : concept polysémique teinté des particularités dans le secteur des ressources naturelles
  • Accès aux terres agricoles rurales et aux forêts des communautés locales : difficile comptabilité des droits fonciers
  • Développement des projets agricoles et forestiers et droits des communautés locales autochtones
  • Peut-on encore espérer en une résolution pérenne des conflits fonciers liés aux terres agricoles et forêts des communautés locales ?
  • Conclusion.

     

     


    I. Introduction

  • Avec plus de 155M° de superficie de forêts et plus de 80M° de terres arables dont moins de 10% sont actuellement exploitées, la RDC offre une grande opportunité en termes d’investissements dans la Sous-Région d’Afrique.
  • Les secteurs des forêts et de l’agriculture sont encadrés par des législations spécifiques, (code forestier et ses mesures d’application) et loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.
  • En effet, les forêts tout comme l’agriculture sont battis sur un fonds. Il existe donc une relation plus claire entre le foncier et les forêts et l’agriculture; la terre étant elle-même considérée comme un « bien complexe, à multiple facettes ».
  • Depuis les années 2000, plusieurs réformes ont été lancées dans les secteurs tels que les forêts, l’agriculture, le foncier, etc. mettant ainsi en exergue la reconnaissance des droits aux ressources des communautés qui vivent autour de ces ressources et/ou qui en dépendant directement.

     

  • Mais cette dynamique, caractérisée souvent par une inflation normative n’a pas permis d’assurer aux communautés la protection de leurs droits et la sécurisation durable sur les espaces leurs reconnus par l’Etat, en l’occurrence les terres. On assistance sans force à une sorte de cycle de conflits liés à l’accès à la ressource (forestière et agricole) avec comme fondement primordial, la terre.
  • Devant cette situation, l’on serait tenté de se demander :
    « quelle serait la cause de ces conflits sur les terres des communautés ?, et comment arriver à résoudre ces conflits pour permettre aux communautés locales de jouir de leurs terres et de surcroit de ne pas subir des conséquences des activités forestières et agricoles qui se développent dans et/ou autour de leurs terroirs ? ».
  • La présente analyse vise à ressortir la problématique foncière des droits des communautés face aux activités agricoles et forestières en RDC.

II. Ressources forestières, agriculture et foncier: quel lien avec les communautés locales?

  • Les ressources forestières sont des éléments qui proviennent des forêts et peuvent être utilisés pour satisfaire certains besoins de l’homme et de la nature. La législation congolaise les qualifie des « produits forestiers ».
  • Les forêts de la RDC produisent plusieurs ressources forestières, réparties en produits forestiers ligneux et en produits forestiers non ligneux.
  • Agriculture : c’est une activité ayant principalement pour objet la culture des terres en vue de la production des végétaux utiles à l’homme et à l’élevage des animaux.
  • Cependant, la loi portant principaux fondamentaux relatifs à l’agriculture de 2011 ne définit pas le concept agriculture. Elle traite plutôt des ressources agricoles entant que produits de l’exploitation agricole
  • L’agriculture a longtemps été la principale activité humaine à utiliser les ressources naturelles pour satisfaire des besoins humains, en particulier l’alimentation.
  • Foncier : tout ce qui est relatif à un fonds de terre, à sa propriété, à son exploitation et à sa gestion. La Loi foncière de 1973 a uniformisé le droit foncier en domanialisant toutes les terres et en ce compris les terres naguère dites « terres indigènes ».
  • Aussi, la loi foncière reconnait expressis verbis aux communautés locales un droits aux terres lorsqu’elle stipule que « les terres occupées par les communautés locales sont celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque, individuelle ou collective, conformément aux coutumes et usages locaux » (art.388).
  • Et donc, de nos jours, la terre constitue un bien complexe à multiple facettes. Des défis énormes existent en termes de conservation et exploitation des terres et des ressources naturelles. Des demandes d’accès et de contrôle des terres sont presqu’en concurrence.
  • On assiste assez souvent à des situations où les droits fonciers des communautés locales consacrés par le texte se heurtent à des grands projets d’agriculture commerciale et industrielle, à l’exploitation forestière, minière, etc. mettant ainsi à mal les droits reconnus à ces communautés.

III. Cadre juridique et institutionnel sur les forêts et l’agriculture

 

IV. Communautés : concept polysémique teinté des particularités dans le secteur des ressources naturelles

  • De manière globale, une communauté peut être considérée comme un groupe social constitué géographiquement ou historiquement sur un territoire, disposant des biens ou des intérêts communs ou partageant une même culture.
  • Selon le code forestier de 2002 et ses mesures d’application, une communauté locale est une population traditionnellement organisée sur base de la coutume et unie par des liens de solidarité clanique ou parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est caractérisée en outre par son attachement à un terroir (art. 1er point 17 du code forestier et art.2 point 3 du Décret du 02 août 2014 fixant modalités d’attribution des concessions forestières aux CL) ;
  • La loi sur l’agriculture de 2011 fait également allusion au concept CL en le liant aux terres, sans la définir expressément lorsqu’elle dispose qu’ « il est reconnu à chaque communauté locale les droits fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi» (art.18), et que « l’exercice collectif ou individuel de ces droits ne fait pas l’objet d’un certificat d’enregistrement » (art.19). ;
  • La loi foncière de 1973 fait aussi allusion au concept « CL », en relevant que « les terres occupées par les communautés locales deviennent, à partir de l’entrée en vigueur de la présente loi, des terres domaniales » (art.387), et que ces terres « sont celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque – individuelle ou collective – conformément aux coutumes et usages locaux » (art.388).
    Constat: en dépit de cette reconnaissance par ces 3 lois, il existe des conflits

 

V. Accès aux terres agricoles rurales et aux forêts des communautés locales : difficile comptabilité des droits fonciers

  • En règle générale, l’accès aux terres agricoles est différent des ressources forestières.
  • Si pour les terres agricoles, la RDC connait un tournent législatif déterminant avec des discussions au Parlement sur l’article 16 de la loi sur l’agriculture (parce qu’on veut partir d’un accès des terres agricoles exclusivement réservé aux personnes physiques de nationalité congolaise et aux personnes morale en 2011 vers un accès étendue à toute personne physique et morale en 2017, voir FEC), l’accès aux ressources forestières n’a pas connu autant de difficultés, tant pour les concessions forestières de l’Etat que pour les forêts des communautés locales.
  • Pour ce qui est des terres agricoles rurales, la question foncière en milieu rural et agricole congolais est régie non seulement par la loi foncière de 1973 mais également par la loi agricole.
  • De ce fait, la loi foncière reconnait à chaque CL les droits fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi. Et par voie de conséquence, l’ensemble de terres reconnues à chaque CL constitue son domaine foncier de jouissance et comprend des réserves des terres de cultures, de jachère, de pâturage et de parcours, et les boisements utilisés régulièrement par la CL.
  • Aussi, les conflits portant sur les terres agricoles des CL ne sont recevables devant les instances judiciaires que s’ils ont été préalablement soumis à la procédure de conciliation, à l’initiative de l’une des parties devant le Conseil Consultatif provincial de l’agriculture prévu à l’article 9 de la loi agricole.
  • Pour ce qui est des forêts des communautés locales, les conditions d’accès sont clairement définies dans le code forestier de 2002 (art.22) et par le Décret n°14/018 de 2014 qui fixe les modalités d’attribution des concessions forestières aux CL.
  • Cela commence par l’identification de la communauté et de la personne coutumièrement attitrées à la représenter, ce qui sera suivi de l’enquête préalable, avant la décision d’attribution par le Gouverneur de la province concernée.
  • En effet, comparativement au secteur agricole, le législateur du code forestier a également prévu un préalable sur la saisine des Cours et Tribunaux (art.104) sur les contentieux forestiers, en relevant que tout différend forestier est préalablement soumis à la Commission des règlements des différends forestiers institué par l’Arrêté n°103 du Ministre de l’Environnement depuis 2009.
    Constat: il se dégage de ces deux modes d’accès (forêt et agriculture), l’existence d’un encadrement juridique spécifique pour ce qui est des forêts des CL à travers le code forestier, le Décret des modalités d’attribution et l’Arrêté sur les modalités d’exploitation de ces forêts des communautés.
  • Alors que, pour ce qui est des terres agricoles rurales, le législateur de la loi agricole de 2011 est restée dans cette optique du colonialisme foncier sur les terres agricole lorsqu’il énonce qu’il est reconnu à chaque communauté locale les droits fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi (art.18), laissant ainsi la prérogative à « chaque province de se doter d’un édit qui déterminera les terres rurales ou urbano-rurales destinées à l’usage agricole » (art.12).
  • Nous pensons que la réforme agricole devrait arriver à désaliéner le secteur agricole du foncier pour permettre aux CL de jouir de leurs terres agricoles et d’en organiser l’accès et l’exploitation en toute liberté come c’est le cas pour le secteur forestier.
  • Cela aura notamment l’avantage de réduire des conflits fonciers récurrents liés notamment au développement des activités agricoles industrielles sur les terres des communautés.

VI. Développement des projets agricoles et forestiers et droits des communautés locales autochtones

  • Pour les CL, les forêts jouent un rôle multiforme. Elles sont indispensables à leur survie, leur donnent la nourriture (mère nourricière), l’emploi, les revenus et les plantes pour les soins de santé.
  • Les forêts constituent également le milieu pour leur culture et parfois leur habitat.
  • Les forêts sont tout pour ces individus.
  • Dans les forêts des communautés, la propriété sur les forêts est collective en ce sens que personne ne peut aliéner la forêt qui est un bien de la communauté, donc un patrimoine foncier collectif assimilable à un bien public des forêts.
    Alors que pour ce qui est des terres agricoles rurales, il est reconnu aux CL les droits fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur leurs terres conformément à la loi.
  • Constat : peu importe le mécanisme de gestion ou d’aliénation des forêts des communautés ou des terres agricoles des communautés, il se dégage que les communautés locales autochtones n’ont pas assez de conflits sur leurs terres entre-elles. C‘est plutôt la présence d’un intérêt économique sur les forêts et les terres agricoles des communautés qui constitue un des facteurs de conflits.
  • L’intérêt économique qui s’ajoute aux simples de droits de jouissance individuel ou collectif des forêts ou terres agricoles des communautés a notamment pour conséquence, l’affectation des terres des communautés, la modification des sols et des pratiques culturales, la thésaurisation des terres des communautés, l’accaparement des terres, les déplacement des communautés, la destructions des sites sacrés, etc.
  • Tout cela nécessite une réflexion afin de définir des mécanismes pour résorber ces conflits fonciers liés aux terres agricoles et aux forêts des communautés locales autochtones.

VII. Peut-on encore espérer en une résolution pérenne des conflits fonciers liés aux terres agricoles et forêts des communautés locales ?

  • Depuis la promulgation de la loi foncière de 1973 jusqu’aux récentes réformes dans le secteur des ressources naturelles caractérisées par une inflation législatives des années 2000, plusieurs mécanismes ont été prévus par les lois et leurs mesures d’application, des stratégies et des documents de planification de gestion des ressources naturelles pour résorber les conflits liées à l’utilisation des terres des communautés.
  • Plusieurs mécanismes légaux et informels de gestion des conflits existent dans les secteurs des terres, de l’agriculture et des forêts (Arbre à palabre, saisine de l’Administrateur du Territoire, recours au Conseil Agricole et Rural de Gestion/CARG, saisine de la Commission de Règlement des conflits forestiers,
  • Conseil Consultatif provincial de l’agriculture, saisine des Cours et Tribunaux, etc.).
  • Tous ces mécanismes n’ont pas permis de régler efficacement et durablement les conflits nés essentiellement du développement des activités industrielles et commerciales sur des terres des communautés, générant ainsi un avantage ou intérêt économique.
  • Nous pensons quant à nous, qu’au de-là de respect des textes de droit écrit (loi foncière, loi agriculture, loi forestière, etc.), il est important pour la RDC de recourir au mécanisme dit de « Droit aux Cartes » et de « Cartes au Droit », c’est-à-dire à recourir simplement à un véritable système d’Aménagement du Territoire, dont le processus est en cours d’évolution en RDC.
  • L’Aménagement du Territoire (AT) permettra à la RDC de mieux définir une vision, un cadre juridique d’orientation et de se doter des schémas (national et des provinces) qui permettront de visualiser les différentes affectations des espaces, en spécifiant avec clarté les espaces réservés exclusivement aux CL pour leurs activités.
  • L’AT permettra à la fois de sécuriser les investissements dans les secteurs forestier et agricole, et par ricochet de sécuriser les droits aux terres et aux ressources des CL autochtones face à la poussée des activités agricoles et forestières.
  • L’AT permettra de donner des orientations aux politiques sectorielles en cours (foncier, forêts, agriculture, etc.) afin d’éviter des cas de superposition des titres, et en facilitera la numérisation. Et donc même les concessions des CL seront numérisées et visualisées même à distance par un investisseur qui veut avoir accès aux terres ou aux forêts pour le développement de ses activités.
  • Ce système permettra également de ressortir au clair les espaces fonciers, agricoles et forestiers des CL tels que les sites sacrés, les forêts des CL, les aires de vie des peuples autochtones, etc.
  • Le renforcement des compétences et de l’opérationnalité des différents cadastres prévus par les législations spécifiques ( cadastre foncier, cadastre forestier, cadastre agricole, etc.) en un seul cadastre unique pour classer et conserver tous les titres d’occupation des terres dont les titres d’occupation des forêts et des terres agricoles des communautés renforcera lé mécanisme de sécurisation des droits des communautés.

VIII. Doit-on vraiment conclure à ce sujet ?

  • Notre intervention sera axée sur un plaidoyer à l’égard de toutes les parties prenantes impliquées sur les questions foncières (Etat, opérateurs économiques, partenaires techniques et financiers, monde de la recherche, société civile) : il faut agir et bien orienter nos actions.
  • Appuyer les réformes sectorielles, c’est bien et même mieux mais il faudrait travailler vers une stratégie d’intervention pérenne dans la sécurisation des droits des communautés locales face à la poussée des activités industrielles et commerciales agricoles et forestiers.
  • Renforcer la sécurisation des droits des communautés aux moyens des outils juridiques tels que le système d’aménagement du territoire est un idéal.
    Matière à débat et à réflexions.

Je vous remercie.

 

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